La Bioscleave House, déstabiliser pour mieux s’adapter
Direction New-York City pour parler architecture. Et oui! Le Projet Poisson Rouge, ce ne sont pas seulement des visites de structures. Le but est aussi d’apporter une réflexion plus globale sur la façon dont nous considérons nos aînés ainsi que les résidences en venant changer notre vision de certaines problématiques. Avec ce projet, accrochez-vous car je compte vous emmener dans des considérations… artistiques!
Je vous propose de partir pour Long Island dans une maison un peu particulière. Elle est l’oeuvre de 2 artistes: Arakawa, designer japonais, et son épouse Madeleine Gins, architecte américaine. Ensemble, ils ont développé le concept de la “Reversible Destiny” que l’on peut traduire par le “destin réversible”. Leur travail artistique et architectural se base sur l’idée d’une vie éternelle et le concept de “How not to die” – “Comment ne pas mourir”. Disons le tout de suite, on ne parlera pas ici de l’efficacité du concept puisque ces deux fondateurs sont aujourd’hui décédés.
Le but de leur travail est que l’architecture impacte la vie. Leur démarche part du principe que construire des environnements confortables, c’est ennuyeux. Ils ont donc construit des environnements qui ne sont pas confortables, qui nécessitent une adaptation de l’usager, adaptation qui permet, selon leur théorie, de repousser la mort. En faisant face à un nouvel environnement, l’individu s’ouvre à de nouvelles idées, doit développer de nouvelles techniques pour s’adapter et donc, vit.
How not to die, mais presque…
L’objectif recherché par Arakawa et Gins est de déstabiliser les gens, tant physiquement que mentalement. La Bioscleave House, située à Long Island, en est le parfait exemple.
La Bioscleave House est une maison colorée et pour le moins biscornue. Le sol de la pièce principale est recouvert de bosses afin de déséquilibrer l’usager. La texture est molle afin d’éviter les blessures. Les couloirs sont en zig-zag. Les poignées de portes sont à des hauteurs différentes afin d’être toujours surpris dans les gestes les plus anodins. Les murs sont penchés, les fenêtres sont à des niveaux différents, et pour accentuer le tout, le visuel est aussi stimulant avec plus de 40 couleurs sur les murs.
Se promener dans cette maison stimule en permanence votre équilibre, votre concentration et, selon les architectes, votre système immunitaire.
Quel lien avec nos aînés?
Si ce projet m’a tant marqué lors de sa découverte il y a plusieurs années, c’est parce que ce travail artistique pose de vraies questions concernant les résidences et la façon dont nous abordons la perte d’autonomie. Il part d’une théorie selon laquelle le confort serait le début du vieillissement. A l’inverse, l’inconfort permettrait de maintenir un état de vigilance, une alerte indispensable au maintien de l’autonomie. Cette démarche, plus artistique que médicale, pose une vraie question. Protégeons nous trop nos aînés? Et si c’était dans l’inconfort que réside le maintien de l’autonomie?
Les résidences pour aînés sont adaptées aux personnes perdant leur autonomie. Grands espaces, tout de plain-pied, pas de marches. Dans la plupart des cas, un établissement “bien conçu” est un établissement présentant le moins d’obstacles possibles. Prenons l’exemple d’une personne vivant à son domicile, habituée à monter un petit escalier pour entrer chez elle. En emménageant en résidence, elle va perdre l’habitude de monter des marches et perdre cette mobilité. Certes les professionnels de santé vont procéder à des exercices et de la stimulation pour solliciter les muscles et maintenir une activité physique. Mais connaissons nous la part de perte d’autonomie dûe à un environnement plus adapté?
J’ai volontairement choisi cette approche un peu provocante pour amener une vraie question. Bien évidemment, il est important d’adapter l’environnement aux possibilités de la personne afin de ne pas la mettre en difficulté. Mais nous pouvons nous questionner sur l’intérêt de “bousculer” nos aînés dans leur capacité.
Sommes nous trop protecteurs avec nos aînés?
Par gentillesse, par souci d’efficacité (ou parfois par manque de confiance?), l’entourage ainsi que les soignants ont tendance à faire des actions à la place des aînés. Or, je crois qu’il est important, dans une certaine mesure, de conserver des défis au quotidien, de bousculer les habitudes, de mettre en situation de difficulté afin de favoriser l’adaptation. Si la télécommande de la télévision est toujours à la même place, le geste d’attraper l’objet est un réflexe. En revanche, si la télécommande est placée à des endroits variés, le cerveau va être sollicité afin de retrouver l’objet.
De même, lorsqu’une personne est capable de se déplacer, on peut l’encourager à venir elle-même chercher la carafe d’eau plutôt que lui apporter.
Cela demande aussi d’avoir confiance et d’accepter l’échec. Par exemple, en laissant une personne boire seule alors qu’elle a des tremblements, faut-il empêcher cette personne de boire seule ou acceptons nous d’avoir un peu d’eau à nettoyer? Est ce qu’une personne présentant des risques de chute doit éviter tout déplacement? Même si je ne pense pas que créer des maisons de retraite en suivant l’idéologie de Arakawa et Gins serait une bonne idée, j’aime en revanche beaucoup le principe selon lequel nous sommes vivant, acteurs de nos vies et actifs lorsque nous sommes en adaptation voire même, lorsque nous prenons des risques. Durant mon voyage aux Etats-Unis, je me suis retrouvée dans des situations nécessitant beaucoup d’adaptation et je me suis sentie pleinement vivante et utilisant toutes mes ressources. J’ai parfois été bousculée et dans des situations inconfortables mais j’étais en stimulation constante.
N’hésitez pas à me partager votre ressenti par rapport à ce sujet. Je pense que c’est une question vraiment intéressante que nous devons tous nous poser. Dans quelle mesure mes actions impactent de façon positive, ou non, le maintien de l’autonomie de la personne en face de moi? Suis-je prêt à prendre des risques pour favoriser cette autonomie?