Et si on parlait « Fin de vie »?
La question de la fin de vie est un débat qui s’installe de plus en plus sur le plan politique français. Que ce soit lors d’un dernier rebondissement sur l’affaire Vincent Lambert, ou à chaque fait divers, chacun y va de son avis. En lisant les commentaires sur internet, j’ai constaté une grande confusion entre les différents termes. Afin d’y voir plus clair et d’ouvrir le débat sereinement, il me paraissait important de préciser les termes les plus courants.
- L’euthanasie active
L’euthanasie active désigne l’acte médical qui provoque intentionnellement la mort dans le but de soulager les souffrances du patient. Cet acte est interdit en France et dans de nombreux autres pays. Les Pays Bas, la Belgique et le Luxembourg autorisent quant à eux sa pratique. Il s’agit alors d’un acte réalisé par le corps médical.
Il est important de le distinguer du suicide assisté.
- Le suicide assisté
Cette pratique est tolérée en Suisse, Belgique et aux Pays-Bas. Ici, le patient est au coeur du processus car c’est lui qui s’injecte la dose létale. Le produit est prescrit par le médecin mais ce dernier n’est pas forcément présent lors de l’acte. L’injection est réalisée par le patient.
- L’aide médicale à mourir
Cette pratique québécoise est entrée en vigueur en 2015. L’Aide Médicale à Mourir (AMM) est décrite dans le droit québécois comme “un soin consistant en l’administration de médicaments ou de substances par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès.” C’est donc le médecin qui réalise l’acte entraînant la mort, et non le patient, sur demande de ce dernier.
Ces trois processus sont souvent réunis sous la question commune du droit à mourir dans la dignité. Pour autant, on voit bien ici que ces trois cadres sont extrêmement différents et on comprend la difficulté à établir un processus qui conviendrait à tout le monde. Mais cette contextualisation nous sert de base à un débat sans fin: notre relation individuelle et collective face à la vie, à la mort, et à l’éthique médicale.
L’euthanasie active: la référence belge
Depuis 2002, la Belgique, souvent citée en exemple, autorise la pratique de l’euthanasie active. Dans le cadre belge, l’acte ne peut être réalisé qu’à la demande du patient. Ce dernier doit formuler sa demande de manière volontaire, réfléchie et répétée. Le médecin doit s’assurer que le patient se trouve dans une situation médicale “sans issue et fait état d’une souffrance physique ou psychique constante et insupportable qui ne peut être apaisée.” (Loi du 28 mai 2002, Chap II, Art 3). La loi précise en détail tous les points que le médecin doit évoquer avec son patient, comme les alternatives de traitement, s’entretenir avec l’équipe soignante qui accompagne le malade, s’assurer que le patient a reçu toute l’information nécessaire etc…
A noter que la Belgique a élargi cette pratique aux mineurs dans un cadre plus strict. Les souffrances psychiques sont exclues, seules les souffrances physiques insupportables sont prises en compte. L’âge minimum n’est pas précisé mais le mineur doit être doté d’une “capacité de discernement” et que sa condition entraîne “le décès à brève échéance”. (Loi du 28 mai 2002, Chap II, Art 3). Autre spécificité belge: la possibilité de formuler une déclaration anticipée. Toute personne peut rédiger par écrit une déclaration exprimant sa volonté qu’un médecin pratique l’euthanasie si le patient est atteint d’une maladie grave et incurable, si le patient est inconscient, et que cette situation est irréversible. Cette déclaration doit être rédigée en présence de deux témoins. Une fois l’acte réalisé, le médecin déclare cet acte et rédige un rapport afin d’assurer un suivi.
L’accès aux mineurs et la notion de déclaration anticipée font de la loi belge l’une des lois les plus ouvertes sur l’euthanasie.
Le suicide assisté: le cas Suisse
En Suisse, l’euthanasie active est considérée comme un homicide. En revanche, vous pouvez prendre rendez-vous pour organiser votre suicide assisté. D’ou l’importance de ne pas mélanger les termes…
Le suicide assisté est un acte citoyen. Cette pratique se distingue par la faible implication du corps médical. Le médecin rédige un rapport médical et prescrit la substance létale. Pour le reste, la personne rentre chez elle avec son produit et organise son décès comme elle le souhaite. Le Code Pénal autorise l’assistance au suicide, qu’elle soit médicale ou non. A chaque fois que ce geste est effectué, une enquête est ouverte afin de s’assurer que la personne qui a aidé le défunt n’avait pas de motif “égoïste”. Plusieurs associations accompagnent ainsi les personnes souhaitant bénéficier de ce geste et les aident à le réaliser, en toute légalité. Je n’emploie pas ici le terme de “patient” car la loi ne précise pas de contrainte d’accès. Certes, il faut consulter le médecin afin d’obtenir la substance létale, mais il n’est pas nécessaire d’être atteint d’une pathologie grave et incurable comme on a pu le voir en Belgique.
Ce modèle est peut-être l’un des plus libertaire concernant le choix de mourir. Notons cependant qu’il s’apparente à un suicide comme un geste de citoyen, et non comme un geste médical. En ce sens, il s’oppose au modèle québécois dans lequel le milieu médical est pleinement investi et le geste est considéré comme un soin.
Le Québec: ne parlez pas d’euthanasie
La loi concernant les soins de fin de vie est entrée en application au Quebec en 2015. Cette loi encadre plus globalement les soins de fin de vie en abordant les soins palliatifs, qui visent à soulager les souffrances sans hâter ni retarder la mort, ainsi que la sédation palliative continue c’est à dire l’administration de médicaments rendant inconscient de façon continue jusqu’au décès. En revanche, le terme d’euthanasie, trop connoté, n’apparait pas dans la loi. Ici on parle d’Aide Médicale à Mourir. L’Aide Médicale à Mourir (AMM) est un acte médical défini comme un soin consistant en l’administration de médicaments ou de substances par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès.” (Loi concernant les soins de fin de vie, article 3). Le médecin est donc acteur du processus, sur demande du patient. Pour autant, l’acte peut être réalisé hors structure hospitalière donc directement au domicile du patient.
Les conditions suivantes doivent être rassemblées pour obtenir l’AMM. La personne doit être majeure et apte à consentir aux soins. Elle doit également être assurée à l’assurance Maladie. Ces premiers critères excluent le tourisme de la mort, que l’on peut retrouver en Suisse avec des personnes étrangères qui viennent bénéficier du service, ainsi que l’accès aux mineurs, contrairement à la Belgique. La personne doit être “en fin de vie”, atteinte d’une maladie grave et incurable. “Sa situation médicale se caractérise par un déclin avancé et irréversible de ses capacités; elle éprouve des souffrances physiques ou psychiques constantes, insupportables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge tolérables.” La demande est formulée par écrit par le patient en remplissant un formulaire, contresigné par le médecin. (Loi concernant les soins de fin de vie, article 3).
Cette pratique implique l’équipe médicale en premier plan. Afin d’assurer un soin de qualité, l’équipe médicale doit être consentante pour réaliser le geste. Un droit de retrait est donc prévu dans le texte de loi. Le médecin comme l’infirmière, a le droit de ne pas réaliser l’acte s’il va à l’encontre de ses valeurs. En revanche, afin d’assurer une continuité des soins, ce professionnel a pour obligation de recommander le patient à un professionnel qui prendra le relai. Fin 2017, les dernières statistiques indiquaient que 1829 québécois avaient demandé à bénéficier de l’AMM et au moins 1215 personnes l’avaient obtenu.
Les Etats-Unis, entre liberté individuelle et poids de l’Histoire
L’euthanasie est illégale dans tous les Etats. Dans la société américaine, la liberté de l’individu de mener sa vie comme il l’entends est au coeur de la culture. Un débat sur l’euthanasie ouvrirait la porte au fait de décider pour l’autre, ce qui n’est pas concevable aux Etats-Unis. Le débat porte donc principalement sur le suicide assisté.
Hawaï est le septième état après l’Oregon, le Colorado, la Californie, le Vermont, le Montana et l’État de Washington à légaliser le suicide assisté. Dans l’exemple américain, le médecin ne doit pas être présent lorsque le malade réalise l’acte. Conséquence inattendue: certaines personnes font la demande mais ne vont pas au bout du processus. Cela peut s’expliquer par le fait d’être soulagé à l’idée d’avoir la possibilité de réaliser le geste. Les malades savent qu’ils ont cette possibilité, ils ont avec eux le matériel et le produit, mais décèdent de façon naturelle, avant de passer à l’acte. Cette donnée est très forte puisqu’elle soutient l’idée selon laquelle les personnes ont besoin de savoir qu’elles ont le choix, de décider du moment de leur mort, sans pour autant le mettre en application. Les conditions d’accès sont plus restreintes qu’en Suisse. Par exemple en Oregon, le médecin doit établir que le patient souffre d’une maladie “en phase terminale (qui entraînera sa mort dans les six mois)”.
Les projets de lois concernant la fin de vie sont votés dans chaque Etat, et non au niveau fédéral. Durant mon voyage, j’ai souhaité aborder la question de la fin de vie. Ce sujet reste un tabou majeur dans les Etats du Sud, historiquement conservateurs. Ce n’est qu’en Californie que j’ai enfin pu aborder ce sujet sereinement. Vous remarquerez d’ailleurs que les Etats autorisant le suicide assisté sont principalement des Etats de l’Ouest. On constate bien ici l’impact de la culture individualiste sur la façon dont le débat est naturellement orienté vers le suicide assisté plutôt que l’euthanasie. De même, l’histoire du pays a un impact direct sur les décisions éthiques avec des Etats à l’Ouest qui s’ouvrent petit à petit à l’idée de voter de nouvelles lois, et à l’inverse, des Etats à l’Est conservateurs dans lesquels la simple évocation du terme “fin de vie” amène un malaise. Et lorsqu’on voit que la Georgie et l’Alabama votent des lois anti-avortements, le débat est bien mal engagé…
Quid de la France?
En France, l’euthanasie active est illégale. Pour autant, la loi française condamne l’acharnement thérapeutique. Entre ces deux extrêmes, la loi dite Leonetti offre un cadre légal aux droits des malades et à la fin de vie. Elle vise notamment à empêcher l’obstination déraisonnable, définit comme des actes apparaissant “inutiles, disproportionnés ou n’ayant d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie”. Le recours à une personne de confiance ainsi qu’aux directives anticipées permettent de se rapprocher le plus possible du souhait du malade dans le cas ou il ne pourrait lui-même exprimer son opinion. Cela concerne le degré d’investigation et de traitement selon l’état du malade. Dans le cas français comme dans le cas québécois, ces situations sont donc très médicalisées. On distingue ainsi le traitement médical et le soin. On peut en effet arrêter de traiter un patient en stoppant des médicaments, mais l’accompagnement palliatif assure un relai via le soin. La pratique de sédation est également autorisée en France. Afin de soulager les souffrances d’un malade, il est possible de lui administrer un traitement, même si ce dernier présente un risque d’accélérer le décès. Le cas le plus courant est l’utilisation de la morphine qui peut entraîner des détresses respiratoires.
La loi française concerne donc les tout derniers instants de la vie. On parle ici des derniers jours, dernières heures. Contrairement aux autres pays ou la question de la fin de la vie peut arriver bien plus tôt dans le processus. En en discutant autour de moi, il me semble que la population française est prête à engager la discussion pour faire évoluer cette loi. Je crois sincèrement que le seul frein est politique. Qui aura le courage de prendre le risque de diviser la population en lançant le débat?
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Ce sujet soulève de nombreuses questions fascinantes qui en disent long sur notre société, notre éthique, notre relation à la mort. L’euthanasie active est souvent la porte d’entrée dans le débat. Le terme est connu et ressort souvent dans les médias. Certains évoquent l’euthanasie active pour des patients inconscients. Cette pratique pose une grande question éthique: pouvons nous utiliser notre ressenti pour décider de la mort d’autrui. « A sa place, je préférerais mourir… ». Dans ce cas, la responsabilité revient à l’équipe médicale, à son jugement, mais aussi souvent à la famille. Cette pratique permettrait de soulager les proches, fatigués de voir le malade souffrir. Cette souffrance est la seule quantifiable puisque la souffrance du patient ne peut être qu’interprétée. Comment pouvons-nous juger de la souffrance d’un autre être humain? Pouvons-nous entrainer la mort d’une personne pour abréger la souffrance psychologique de ses proches?
Le suicide assisté permet quant à lui de placer le patient au coeur du processus. Il en est l’acteur principal et l’entourage médical et familial joue un rôle d’accompagnement. Je suis attachée à l’idée de placer le patient au coeur de son projet de vie, lui laisser le choix. Mais là aussi, la pratique exclut beaucoup de monde. Qu’en est-il des grands tétraplégiques qui ne peuvent physiquement pas réaliser le geste? Ou fixer les limites de l’accès à ce geste? A partir de quel degrés de maladie entre-t-on dans les critères de “souffrance”? Puis finalement, pourquoi légiférer un acte que de nombreuses personnes réalisent déjà?
L’aide médicale à mourir non plus ne réponds pas à toutes les situations. Il n’est aujourd’hui pas possible de faire une demande d’AMM en anticipant une évolution de la maladie. Prenons l’exemple d’Alzheimer. Un patient recevant le diagnostic ne pourra pas bénéficier de l’AMM puisqu’il n’est pas “en fin de vie”. Mais lorsqu’il arrive en fin de vie, l’évolution de la démence fait qu’il n’est plus responsable de ses décisions et ne peut donc pas demander l’AMM. Ce cas, et bien d’autres, ne sont donc pas couverts. Pour autant, il me semble tout à fait sain qu’une première loi soit très restrictive. Il faut tester la loi, les réactions, laisser le temps à la société d’accueillir cette nouvelle pratique. Une fois un délai raisonnable passé, je ne doute pas que cette Aide Médicale à Mourir sera élargie à d’autres pathologies à l’avenir. Je crois d’ailleurs que le même modèle suivra en France: une première loi similaire, très restrictive, puis un élargissement quelques années plus tard. Le droit de retrait me parait indispensable sur ces sujets passionnés, surtout dans le cadre d’un premier texte. Un acte de ce type doit être réalisé avec toute la bienveillance possible et sans jugement afin d’accompagner au mieux le malade et ses proches. Ainsi, les professionnels réalisant ces actes doivent le faire avec conviction et engagement. Obliger un professionnel à réaliser un tel acte serait une erreur tant pour le professionnel que pour le patient et son entourage. En revanche, afin d’assurer l’accès au soin, la personne exerçant son droit de retrait a pour obligation de rediriger le patient vers un confrère qui réalisera l’acte. Ainsi, l’égalité d’accès au soin est assurée tout en respectant les convictions de chacun.
Chaque cadre légal présente donc des avantages et des inconvénients. Mais surtout, chaque modèle présenté pose de vraies questions intimes et collectives. A titre personnel, je trouve ces pistes intéressantes mais je suis curieuse de voir comment cela évoluera dans les années à venir. Et vous, comment évolue votre position sur ce sujet? Seriez-vous prêt à accepter l’une de ces lois en France?