Durant mon voyage, j’ai été marquée par deux projets que je souhaitais vous présenter ensemble. D’un coté, des chatons, de l’autre des poupées. Qu’ils soient vivants ou factices, les animaux et les poupons servent d’objet de médiation pour les personnes atteintes de démences. Mais vous allez voir que l’un d’eux fait débat.
Les chatons d’Arizona
Les équipes de Catalina Springs Memory Care à Tucson, AZ, se sont associées au Centre de soins des animaux de la ville pour nourrir des chatons. D’un coté, des petites boules de poils qui demandaient de nombreux soins et avaient des difficultés pour s’alimenter. De l’autre, des résidents qui ont du temps et de l’attention à donner. Les résidents ont alors été mis à contribution pour câliner et nourrir les chatons. En plus du gain de poids très rapide, les animaux ont appris à passer de mains en mains, permettant de développer leur sociabilité, ce qui sera utile pour leur adoption à venir. Coté résidence, le bénéfice est total également. Cette activité n’est pas seulement une façon de passer le temps. Elle permet de donner un sens à sa journée et une importance pour les ainés qui se sentent utiles.
De plus, cela confirme une nouvelle fois que les personnes atteintes de démence n’ont pas perdu les capacités émotionnelles. Ils sont donc capables, et ont besoin, de donner et de recevoir de l’amour, y compris de la part de ces chatons.

Credit: Pima County Animal Care Center

Credit: Pima County Animal Care Center
En Indiana, des poupées pour les ainés
A Indianapolis, l’association Pearl’s Memory Babies intervient dans les résidences avec des animaux… en peluche! L’impact est le même puisque les personnes atteintes de démence à une stade avancé ne font pas la différence entre le vrai chiot et la peluche. Mais cette association va encore plus loin. Ce regroupement de femmes fabrique des poupées afin de les offrir aux résidents.
Les témoignages sont impressionnants: les résidents prennent les poupons dans les bras, les cajolent ou leur parle comme ils le feraient avec de vrais bébés. La réaction est immédiate chez les ainés réceptifs et il n’est pas rare d’avoir des pleurs et beaucoup d’émotion à l’arrivée des poupées.
Ce projet reprend les techniques vues précédemment telles que l’utilisation d’un objet comme médiateur de la relation, mais ajoute aussi la notion de thérapie de la réminiscence. Cette thérapie très en vogue repose sur l’évocation de souvenirs anciens. Les résidents ayant eu un contact avec des enfants (soit leur propre enfant, soit par leur profession) sont donc particulièrement sensibles à cette thérapie. Mais cette nouvelle pratique pose question.
Mensonge ou accompagnement?
En effet, les malades pensent instinctivement que ces poupées sont de vrais enfants. Or, il ne s’agit que de poupées ou de peluches. La réalité des résidents est donc faussée et nous mets face à un questionnement: pouvons-nous entretenir un mensonge pour le bien-être d’un résident? Devrions-nous les confronter à la réalité? Faut-il expliquer au résident que ce n’est pas un vrai enfant ou un vrai animal?
Le soin passe t-il toujours par l’honnêteté?
Lorsque j’ai découvert ce projet, j’ai été mitigée. J’ai d’abord vu le bénéfice pour le malade. (J’utilise ici volontairement le terme de malade car il s’agit bien de résidents atteints de démence à un stade avancé.) Ces poupées permettent de stimuler l’empathie, de se remémorer des souvenirs et, plus simplement, donne un but au résident qui doit désormais s’occuper de cette poupée. Puis je me suis rapidement questionnée sur le notion d’honnêteté. Les questions posées plus haut ne m’ont pas quitté pendant plusieurs semaines. J’ai ensuite décortiqué les questions et essayé de comprendre pourquoi je n’étais pas totalement à l’aise avec ce projet.
Ne pas contredire, est ce mentir?
A titre personnel, je ne souhaite pas mentir aux résidents ni aux familles. Par exemple, j’encourage les familles à ne pas dire « Nous revenons te chercher plus tard » lorsqu’ils partent le soir. Ce n’est pas vrai et cela génère de l’angoisse. De même, lorsque j’étais infirmière en unité de soins somatiques, j’étais le plus transparente possible avec les patients sur leur situation et les soins prodigués. Pour autant, dans le cas présent, je ne considère pas qu’il s’agisse d’un mensonge, mais plutôt d’un accompagnement. Les résidents considèrent d’eux même, en quelques secondes, qu’il s’agit d’un vrai enfant. C’est le résident qui instaure cette relation puisque son ressenti est déformé du fait de la maladie.
A l’inverse, j’ai beau y réfléchir, je n’ai à ce jour trouvé aucun intérêt à contredire le résident. De même, je ne vois aucun inconvénient à laisser le résident dans sa vision. Chercher à tout prix à faire entendre raison à un résident risquerait d’entrainer une frustration, une incompréhension allant même jusqu’à l’angoisse. Les démences de type Alzheimer sont des pathologies qui ne se soignent pas à ce jour. Il s’agit donc de proposer à ces malades un quotidien intéressant, stimulant et joyeux. Or, ce projet apporte beaucoup de bonheur aux résidents, même s’il est artificiel.
J’ai d’ailleurs posé la question à Jean Makesh, fondateur de résidences dans l’Ohio. Nous nous sommes questionné ensemble et voici la conclusion de cet échange. Il ne s’agit pas ici de mettre une poupée dans les mains de chaque résident. Mais si un résident a une poupée, qu’il s’en occupe comme d’un bébé et que cela lui procure un bien être, pourquoi ne pas le laisser faire?
Avoir ce genre de réflexion est indispensable afin de faire bouger les lignes et ne pas rejeter un projet qui pourrait apporter un bénéfice. Dans une institution, il faut ouvrir le dialogue avec les soignants afin de s’assurer que chaque intervenant sera à l’aise. Mais il y a un autre acteur primordial qu’il ne faut pas oublier.

Photo Nolwenn Brod. Vu pour Libération
Quand un bébé met les familles face aux symptômes.
En effet, c’est probablement pour les familles que ce projet peut-être difficile à supporter. Voir son père ou sa mère parler à une poupée comme il nous parlait lorsque nous étions enfant peut-être une expérience bouleversante. Cela renvoie la famille directement face aux symptômes de la maladie. Le résident est dans son univers, parle et prend soin d’un poupon. Les gestes et paroles du résident témoignent de sa maladie puisque le bébé met en exergue un comportement inadapté. Certains accompagnants, comme les autres résidents d’ailleurs, pourraient être tentés de ramener le malade à la « réalité ». Cette envie de rappeler la réalité peut-être un signe de non acceptation de la maladie. On préférerait que la personne se rende compte d’elle même qu’il ne s’agit que d’une poupée…
Il est important de repérer les membres de la famille qui pourraient mal vivre cette activité. Et c’est en expliquant les bénéfices et en les accompagnant dans leur cheminement que l’on peut les aider à comprendre et mieux vivre ces pathologies.
N’hésitez pas à me faire part de votre avis sur ce sujet, le débat est ouvert! 🙂