Pour reconnaitre le lieu de cette visite, il vous suffira peut-être d’une image:
Si vous utilisez un peu les réseaux sociaux, vous avez probablement vu cette vidéo présentant un lieu magique ou vivent heureux des ainés dans un village reconstitué, avec de l’herbe au sol et une lumière qui change d’intensité au fil de la journée? J’avais enregistré cette video en ligne et plusieurs années plus tard, j’ai eu la chance de visiter ce lieu enchanteur. Bon, j’exagère un peu le coté Disney car honnetement, je craignais de me retrouver dans un espace faux, pur produit d’une campagne marketing rondement menée. Pour tout vous dire, je craignais vraiment d’être décue…
Comme ce fut le cas pour la rencontre avec Dan Cohen, de Music and Memory, j’avais beaucoup d’attente. Et comme pour Music and Memory, la visite a dépassé mes attentes!
THE LANTERN, l’approche par la réminiscence poussée à l’extrême
THE LANTERN est un groupe qui rassemble trois résidences dans les environs de Cleveland, dans l’Ohio. L’ensemble du projet repose sur la thérapie par la réminiscence. Nous avons déjà évoqué cette pratique qui consiste à créer un environnement familier en reprenant les codes des décennies passées, en visitant un accueil de jour à San Diego. Le site Allo Docteur avait également publié un article sur ce lieu. C’est indéniablement la grande tendance! The Lantern s’appuie sur cette approche pour créer un quotidien chaleureux dans un cadre familier. Contrairement à Town Square à SAN DIEGO, il s’agit ici d’un lieu de vie et d’hébergement. La population accueillie est âgée, autonome ou semi-autonome, et les résidents sont pour certains atteints de démences de type Alzheimer.
Cette structure a été la première que j’ai contactée, plusieurs mois avant le départ. Dès le début, les équipes ont montré un grand enthousiasme. Sur le terrain, cet enthousiasme ne s’est pas démenti, que ce soit pendant la journée que j’ai passé sur place ou lors d’un entretien d’une heure avec Jean Makesh, le fondateur du groupe.
Pour la première fois, les équipes m’ont proposé un pass permettant d’avoir accès à toutes les unités. J’ai ainsi pu déambuler seule, discuter avec les résidents, les familles mais aussi les employés. J’étais libre de mes mouvements et j’en ai profité pour déjeuner avec un nouveau résident, consulter les classeurs d’activités des accompagnants et regarder un match de Baseball avec les résidents. Je partageais cette visite avec une journaliste du New Yorker qui passait une semaine sur place en immersion. Nous avons beaucoup échangé sur ce que nous avons vu, elle avec son regard de journaliste et moi avec mon regard de soignante. Cette journée a été particulièrement enrichissante et idéale pour terminer le voyage. Amis anglophones, l’article du New-Yorker se trouve juste ici.
L’architecture au service de la réminiscence…
L’ensemble du projet THE LANTERN a été réalisé avec un objectif: créer un environnement familier et adapté aux besoins des résidents. The Lantern of Chagrin Valley est donc la réplique du village de Chagrin Valley tel qu’il était dans les années 30.
Une fois l’accueil passé, l’architecture du lieu fait vraiment son petit effet. L’ensemble de la structure est composé de plusieurs espaces. Tout d’abord un premier couloir, réplique d’une rue de centre ville, rassemble les espaces communs. On y trouve un théâtre pour les soirées cinéma, un espace coiffure, ou encore une salle de jeux videos pour les enfants. Ce couloir central dessert deux autres espaces qui sont en fait les lieux de vie. Les deux espaces sont sur le même modèle: une réplique d’une rue avec ses devantures de portes et ses fontaines, son herbe au sol et le bruit des oiseaux qui gazouillent. Vous l’aurez compris, les devantures de maisons sont en fait les chambres des résidents.
Les deux espaces de vie présentent une différence majeure: le sol de l’unité classique est composé de pastilles de vert clair et foncé ainsi qu’une partie bleue représentant de l’eau. Or, les personnes atteintes de démence pourraient prendre ces couleurs plus foncées pour des trous dans le sol. C’est la raison pour laquelle l’unité accueillant des personnes atteintes de démence a un sol vert uni. L’ensemble abrite également des bureaux, une salle à manger que les résidents peuvent privatiser pour fêter un événement particulier ou encore une chambre, disposant d’un – immense – lit, mise à disposition des familles qui souhaitent passer une nuit sur place.
Cette architecture nous plonge dans un univers des années 30. Mais le projet va bien plus loin. A vrai dire, je craignais de me retrouver dans un décor en carton-pâte visant uniquement un objectif de marketing. Au contraire je suis allée de découvertes en découvertes tout au long de la journée, constatant l’effet positif de ces initiatives. Ce projet présente plusieurs pistes de réflexions intéressantes.
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Tout d’abord, l’idée des devantures de maison permet de rappeler que le résident est chez lui, qu’il s’agit de son domicile. Chaque “maisonnée’ étant différente, le résident peut créer de nouveaux repères pour ne pas se tromper de chambre. De plus, le fait de considérer le couloir commun comme un espace -faussement- extérieur favorise là aussi la séparation entre chez soi, la chambre, et le couloir qui est un lieu d’activité et de socialisation. Ainsi, tout en restant dans un environnement sécurisé et intérieur, chaque espace a sa fonction. On peut imaginer que cette distinction aide à poser des repères spatio-temporels.
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Afin de fournir encore plus de repères aux ainés, l’intensité lumineuse varie selon l’heure de la journée et selon les saisons. Le plafond est une réplique de ciel nuageux qui se transforme en ciel étoilé une fois la nuit tombée. En soirée, la lumière diminue et les lampadaires de la rue s’allument, comme dans une vraie ruelle à la tombée du jour. C’est donc toute la structure qui bascule vers un rythme plus calme et apaisant, envoyant de nombreux signaux préparant pour le rituel du coucher.
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La richesse des activités proposées permet de maintenir un rythme de vie durant la journée. Jean Makesh défends une théorie selon laquelle si on attends d’une personne qu’elle dorme la nuit et ne soit pas envahi par des pensées négatives ou des angoisses, il faut l’occuper de façon intelligente. Les résidents ont donc un emploi du temps de ministre! Certaines activités sont très stimulantes, d’autres misent sur la convivialité et le lien social. Durant l’après-midi que j’ai passé sur place, l’activité principale était le visionnage en direct du match de l’équipe local de Base-Ball. Au menu, soda et pop-corn, chants de supporters et cris à chaque point marqué. Les résidents qui n’étaient pas intéressés étaient accompagnés par des soignants qui proposaient d’autres activités selon l’envie du moment. Certains faisaient la lecture, d’autres jouaient au mini-basket. Cette activité durait parfois quelques secondes seulement, mais il n’y avait pas de temps mort.
J’ai une méfiance naturelle lorsque je vois que beaucoup d’activités sont proposées. Mais cette technique semble porter ses fruits. Une unité de vie avec des personnes atteintes de démence n’est habituellement pas un endroit calme. J’avais pour habitude de croiser des personnes déambulantes, criant, cherchant à sortir, à rejoindre un proche, rentrer chez eux. Ici, la seule personne que j’ai vu déambuler était un homme de 52 ans, admis quelques jours plus tôt. Il était en phase d’adaptation et les équipes passaient beaucoup de temps avec lui. Non pas pour lui dire de s’asseoir, mais plutôt pour marcher avec lui, lui proposer des activités. L’objectif était de l’occuper afin de calmer ses angoisses. En effet, si une personne passe un bon moment, pourquoi voudrait-elle partir? Afin de structurer cette philosophie, l’établissement travaille avec des universités qui étudient les bénéfices de ces techniques ainsi que la diminution de la consommation de médicaments.
J’ai aussi pu apprécier toute la créativité et l’engagement des équipes. Une aide soignante s’était démenée pour avoir des emballages à pop corn aux couleurs de l’équipe locale de Base-Ball. Dans le même esprit, les équipes de kinésithérapie ont créé des outils en se basant sur les objets du quotidien. A l’origine de ce projet, les résidents mormons, qui ne peuvent pas utiliser d’objets issus de la technologie moderne. Les équipes ont donc créé ces tableaux, que je trouve particulièrement pertinents pour toute personne cherchant à maintenir sa dextérité. Quoi de plus naturel que de s’entraîner sur des cadenas, des verrous et autres systèmes de fermeture que l’on retrouve dans son quotidien. Les écrous sur la photo de droite sont de différentes tailles et permettent de travailler la préhension. De plus, ces systèmes sont bien moins couteux que des machines sophistiquées!
Finalement, j’ai été transportée. Une musique douce et discrète est diffusée, le personnel est très agréable et souriant, les lieux sont propres. Il se dégage de cette structure une grande sérénité et un grand calme.
En résumé, ce lieu est un vrai lieu de VIE, ou les résidents partagent des moments de convivialité. Tous les employés décrivent une ambiance très familiale et cela se ressent en se promenant dans les locaux. J’ai d’ailleurs discuté avec une employée au détour d’un couloir lui demandant un défaut sur la structure, que tout ne pouvait pas être aussi parfait. Elle a simplement sourit en me disant “Et si, c’est possible. Nous sommes très heureux ici”. Tout est dit.